Alors que les ventes de disques sont en chute libre, l’industrie musicale cherche à développer un nouveau modèle économique qui replace le fan au coeur de sa stratégie. Tout l’enjeu étant de trouver les moyens de monétiser la relation artiste / fan.
“Direct To Fan (D2F)”, “Artist To Fan (A2F)” : des concepts incontournables dès que l’on évoque l’avenir de l’industrie musicale. Le mot d’ordre aujourd’hui, c’est de placer la relation artiste / fan au centre des stratégies marketing. « Avant, les artistes se contentaient de sortir un album tous les deux, trois ans. Maintenant, l’offre musicale est illimitée, l’attention du public de plus en plus courte. Les artistes doivent être en contact constant avec leurs fans pour vendre leur musique », explique Virginie Berger, consultante en marketing musical et blogueuse.
« Connect With Fans »
L’Américain Mike Masnick, PDG de Floor 64 et créateur du blog Techdirt, est le gourou du marketing D2F. Pour lui, associer le « contact avec les fans » (“ Connect With Fans ”) et la « raison d’acheter » (“ Reason To Buy ”) permet d’aboutir à un modèle économique efficace dans le domaine musical.
De nombreux artistes appliquent cette théorie avec succès. Le groupe d’indie rock américain Nine Inch Nails, mené par Trent Reznor, est l’un des précurseurs. Sans maison de disque, il est parvenu à impliquer ses fans en communiquant avec eux et en développant une offre autour de ses albums (vidéos, remixes, coffrets deluxe, éditions limitées au contenu exclusif, etc.). L’album Ghosts I-IV, paru en 2008, a généré 1,6 millions de dollars de recettes en une seule semaine, alors que la plupart des titres étaient disponibles gratuitement sur le site du groupe. On peut aussi citer Amanda Palmer, la chanteuse des Dresden Dolls, qui a gagné 16 000 $ en dix jours de vente de merchandising sur Twitter.
L’étude du cas Reznor (Nine Inch Nails) par Mike Masnick au Midem 2009 :
« Les artistes doivent se marketer comme des produits »
L’enjeu majeur, c’est de parvenir à monétiser la relation, soit créer de la valeur à partir d’un lien immatériel. « Avant de penser à gagner de l’argent, il faut faire grossir la “fanbase”, c’est-à-dire aller chercher les fans et les fidéliser », précise Virginie Berger. Tout réside dans le ciblage. Pour la consultante, les artistes doivent se marketer comme des « produits » : « Le travail en amont est primordial : il doivent se demander quel est leur message, à quel profil de fans ils s’adressent, comment consomment ces fans. »
Les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, You Tube, Spotify, etc.) sont incontournables pour diffuser des œuvres. Des sites plus pointus se multiplient aussi, comme les plateformes Topspin Media ou Bandcamp, qui gèrent le marketing D2F à la place des artistes. Et plutôt bien si l’on en croit les statistiques de Topspin : le groupe de pop Fanfarlo a vendu 13 000 albums via Topspin, alors que le marketing de son label n’avait donné que 850 ventes. Le montant moyen par vente sur Topspin est supérieur à 20 $, beaucoup plus que sur la plupart des sites de téléchargement légal.
Du label vers le fan
Chez EMI, on essaie de dresser « le profil démographique des fans, en créant des bases de données à partir des informations qu’ils laissent pour s’abonner aux newsletters. Une fois le profil ciblé, on leur envoie des alertes par mail avec un maximum d’informations sur leur artiste, des artistes similaires, etc. » La major propose l’achat direct d’album via les pages artiste, le téléchargement sur ITunes et parfois des éditions collectors plus qualitatives avec un contenu exclusif, comme cela a été le cas pour Plastic Beach, le dernier album de Gorillaz.
Le concept « ATF », mué en « LTF » (“Label To Fan”), devient une nouvelle source de revenus pour les maisons de disques. « Les labels ont un rôle à jouer car les artistes ne savent pas tous comment entretenir la relation avec leurs fans. Les maisons de disques ont le capital financier nécessaire pour construire un site Internet et être le relais de la parole de l’artiste », d’après Virginie Berger.
« Le gratuit est la norme »
La plupart des majors ont franchi le cap. « Notre stratégie consiste à se poser entre l’artiste et ses fans, explique Julie Sandrin, Responsable CRM (gestion de la relation client) chez EMI. « On encourage sans les forcer les artistes à développer la relation avec leurs fans. On utilise nos compétences techniques pour les aider à faire ce qu’ils veulent. On crée des sites officiels, des profils Facebook, on organise des chats, etc. mais toujours en concertation avec les artistes. »
Difficile d’évaluer combien rapporte cette stratégie marketing. EMI ne souhaite pas communiquer sur le nombre de ventes directes réalisées, mais admet que la « fidélisation et la relation de confiance peuvent entraîner l’acte d’achat. » Comme le résume Virginie Berger, « le gratuit est la norme aujourd’hui. L’objectif principal doit donc être de proposer des produits rares ou des expériences uniques pour le concurrencer. »
Pauline Turuban
Article très intéressant, mais il manque une entreprise leader dans ce domaine: Opendisc ! qui offre justement des contenus exclusifs à ceux qui achètent encore des albums et permet de créer un lien privilégié avec les artistes (rencontres…)